« Ce n’est pas la peine de mettre en place du soutien, on a mis tout le monde en chômage partiel ». Voilà un propos qui semble frappé au coin du bon sens. Il y a le travail et il y a le chômage, le dedans et le dehors, l’espace-temps de l’entreprise et celui de la maison, l’équilibre « vie pro – vie perso »… Les catégories habituelles produisent des réponses habituelles. C’est normal, notre cerveau routinise nos prises de décision pour être prêt à faire face à l’aléa.
Parlons-en, tiens. Et si nous étions dans l’aléa, pourrions-nous nous demander avec malice ? Quelque chose d’un peu inhabituel impliquant de se questionner sur les formes ordinaires de la prise de décision. Nous vivons notre première crise sanitaire mondiale et chacun essaye de faire ce qu’il peut pour passer cette parenthèse sidérante... Entre le déni et le surengagement pour ceux qui travaillent, l’ennui anxieux ou le sentiment de vacances forcées pour les autres, la créativité joyeuse pour les quelques derniers qui écrivent sur les réseaux sociaux. Chacun s’adapte comme il peut.
Les formes de soutien s’organisent, les nouveaux « rituels » se mettent en place, on maintient les « one to one », on organise des cafés virtuels, le télétravail et la digitalisation des relations font un bon de géant. Pour ceux qui travaillent encore.
Ceux qui sont dans la zone de gris du chômage partiel risquent d’être les grands oubliés de la période de confinement. Ils sont au chômage, donc on ne les sollicite pas, le droit nous l’interdit, enfin, on le croit. Le contrat de travail est suspendu… Le risque majeur est que les liens sociaux le soient aussi.
Or il faudra bien repartir, relancer l’activité, recréer du lien physique et social après un si long éloignement qui déréalise les relations. Tous ce qui aura été laissé en jachère risque de coûter cher lors de la reprise. Sentiment d’abandon, isolement, syndrome de stress post-traumatique, impression de ne pas compter finalement, pour son entreprise, son manager, ses collègues… Alors que tous nos diagnostics pointent l’importance de l’équipe comme facteur de protection au travail.
Il nous semble donc nécessaire d’inventer les formes de soutien pour tous dans cette période, quitte à tordre les pratiques, le droit, à flirter avec le gris au nom de principes supérieurs de notre humanité commune, de notre besoin de lien, de l’impérieuse nécessité de maintenir les collectifs de travail en état et les individus en bonne santé psychique. C’est un enjeu de santé publique autant que de saine anticipation économique et managériale.